Mission du Caire
Tome V 3 e liv.
Ernest Leroux
Hélio{>.&Imp Lemercier I
LA REINE TH1T1
d après une photographie de M. Insinuer
TOMBEAU DE LA REINE TH1TI
La vallée des Reines, communément appelée par les Arabes Bab el-Harem et
Bibân es-Soultanât , est un défilé tortueux s’enfonçant dans la chaîne libyque au
sud-ouest des Bibân el-Moloûk. On y parvient de Medinet-Abou en quelques
minutes, par un chemin direct et plat; les autres routes sont plus longues ou
plus tudes. Je n ai pas à refaire la description de cette petite nécropole conte-
nant une vingtaine de tombes’; je m’en tiendrai au seul monument que j’ai
relevé, le plus intéressant d’ailleurs par son état de conservation, le tombeau
-de la « royale fille, royale sœur, royale mère et très royale épouse, Thiti » \
La reine Thiti n’est pas autrement connue. Son nom ne figure sur aucun
autre monument, tombe de roi ou de particulier, stèle, statue, figurine funéraire,
scarabée ou amulette, ces derniers, s entend, dans la limite de ce qui a été publié!
11 com P ose à la finale prés des mêmes éléments que celui de Thii, femme d’A-
ménophisIII, de Thii, femme de Aï, et de Thii miri-hosit, femme de Séti IL II n’en
fallait pas plus, semble-t-il, pour que M . Brugsch 3 proposât d’abord d’identifier la
Thiti en question avec la mère de Khounaten. Cette hypothèse fit son chemin.
Elle contribua à la formation du roman de Thii ou Taïa, la belle Sémite, ac-
cepté par Mariette pour expliquer l’introduction du culte d’Aten ou Adon sous
le pharaon hérétique. La coloration rose des chairs, spéciale à cette reine, indi-
quait, dans la pensée de ce savant, un type non égyptien, probablement sé-
mite. Mariette trouva plus tarda Karnak une jolie tête de reine, bien connue
1. Champollion en avait noté seize.
2. Le n° 3 du plan de Champollion, Notices descriptives , t. I, p. 382.
3. Brugsch, Recueil de monuments égyptiens , t. II, p. 73 et pi LXIII.
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GEORGES BÉNÉDITE.
de tous les visiteurs de Boulaq ; l’allongement des yeux, le sourire étrange des
lèvres s’associèrent, dans son esprit, au charme' produit par la coloration du
tombeau de Bab el-Harem, et cette tête est devenue célèbre sous le nom de
Taïa que M. Maspero lui a retiré. La tendance n’est plus, en effet, à ces hypo-
thèses faciles qu’inspirait le goût hérité des Grecs d’atténuer par l’épisode la
monotomie des faits retenus dans la rédaction officielle des annales pharaoniques.
On n’a pas de meilleure raison pour tenter un rapprochement soit avec la
seconde Thii, femme de Aï, soit avec Thii miri-hosit, et il faut savoir se borner
aux seules données du tombeau. S’il ne laisse pas, faute d’un cartouche de
roi, déterminer la place exacte de la reine dans une dynastie, il permet au moins
dans une mesure appréciable de fixer la dynastie. Premier point à considérer,
le tombeau est creusé dans le même contrefort formant le versant oriental de
l’étroite vallée, dans le même bloc, à vrai dire, que la syringe de la reine Isis,
femme de Ramsès III. Des deux parts même plan, dimensions sensiblement
égales. Placées l’une à côté de l’autre, on dirait de deux tombes jumelles. Les.
réprésentations ne différent beaucoup ni par la forme ni par le fond. Quel-
ques détails caractéristiques du costume tels que les coiffures de la reine sont
comjjpuns à Isis et à Thiti. Autant qu’on en peut juger par ce qui émerge de
l’amoncellement des décombres, Isis présente la même distribution des textes
que Thiti; le style de la gravure est le même. Les procédés décoratifs de la
XX e dynastie nous sont bien connus, au moins pour ce qui est des hypogées
royaux. Au rendu vigoureux et presque heurté des tombes de la XIX e dynastie
(voir par exemple le tombeau déBELzoNi) asuccédésous les pharaons de la XX e
une manière claire et presque sans accent. La couleur noire des fonds, qui,
dans Séti I et , permet aux figures rouges de s’enlever avec vigueur, a disparu
dans les monuments de la XX e . Les fonds n’y sont que jaunes ou blancs. De
plus, la répartition des quatre couleurs conventionnelles bleu, rouge, jaune et
vert, y est tellement équilibrée que, faute de prédominance sensible d’un ton
sur les autres, l’harmonie en est singulièrement affadie. Ce caractère propre
aux tombes des Ramessides des Bibân el-Molouk se retrouve également et au
même degré dans Isis et dans Thiti. En somme, pour qui apprécie les argu-
ments puisés dans l’étude du style, et en archéologie ce ne sont pas les
moins forts, les deux hypogées ont dû être creusés, aménagés et décorés dans
TOMBEAU DE LA REINE THITI.
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un intervalle de temps inférieur à la durée moyenne d’une dynastie. La reine
Thiti était probablement la femme d’un Ramsès de la XX e . Mais nous n’avons
jusqu’à présent aucun moyen de savoir lequel, le Papyrus Abbott, référence tout
indiquée dans la question, ne mentionnant nullement parmi les tombes violées
sous Ramsès III celle de la reine Thiti malgré son voisinage avec Isis, consi-
gnée au procès-verbal 4 .
On s’est demandé si la reine Thiti, à quelque dynastie qu’elle ait appartenu,
était ou non de race égyptienne. Une pareille question n’a jamais pu être sug-
gérée par la forme de son nom. Il ne trahit dans la simplicité de son orthographe
aucun des efforts de transcription qui sont le plus souvent la marque des noms
passés à l’égyptien et paraît même appartenir à cette famille de noms égyptiens
disyllabiques dont la désinence reproduit la voyelle radicale (Pipi, Toumou,
Khoufou, etc.).
Il n’en va pas de même des représentations de la reine. A première vue, la
délicatesse de son profil et principalement la coloration rose dont l’artiste a
revêtu les parties nues induisent à penser qu’on se trouve en présence d’un type
étranger. Il ne faut pourtant pas s’arrêter à cette première impression. A tout
considérer, les traits du dessin sont avec plus de finesse, mais surtout de finesse
d’exécution, les traits conventionnels par lesquels les sculpteurs égyptiens
représentent la beauté féminine. Les yeux sont agrandis par le prolongement
de la ligne d’antimoine. L’iris, aujourd’hui effacé, était bleu, selon Prisse
d’Avesnes ; mais ce bleu y tenait lieu de noir par convention et comme cela est
le cas pour certains accessoires dont la couleur originale restera longtemps pro-
blématique. Le nez est légèrement aquilin et peu en saillie; les narines plus
petites et la bouche moins épaisse qu’à l’ordinaire sont d’une parfaite hori-
zontalité. Il y a là évidemment une atténuation à cette rondeur des traits, à
cette lourdeur du modelé qui sont une des caractéristiques du type indigène.
Sous la XX e dynastie, l’Égypte n’était plus un territoire fermé aux peuples
étrangers. L’armée se recrumit parmi les populations nomades des déserts limi-
trophes. Des captifs et captives de toutes races peuplaient les faubourgs de
Thèbes. Les maisons royales et les renfermaient de belles esclaves
i. Maspero, Une enquête judiciaire à Thèbes , p. 69 sqq.
3 §4
GEORGES BËNÉDITE.
au service des princesses. De nombreux éléments de comparaison s’offraient
ainsi aux artistes. Nul doute qu’une telle variété, si séduisante par sa nouveauté,
n’ait exercé son influence sur l’idéal du temps. C’est une Thiti idéale que nous
avons sous les yeux.
Il y avait alors des milliers d’années que les rois n’étaient plus très fidèlement
représentés par leur propre image, mais d’après un c-anon spécial qui leur assi-
gnait les formes et la beauté des dieux, selon la conception du temps '. N’est-il
pas remarquable que le seul pharaon faisant exception à cette règle était préci-
sément l’hérésiarque Khounaten, qui avait ses raisons pour ne pas se prêter à
une transfiguration purement religieuse? Ce qui était la règle pour les rois,
l’était pour les royales mères et les royales épouses. Les Égyptiens les assimilaient
aux déesses, Maut, Isis, Hathor, etc., dont elles portaient les attributs. Vouloir
rechercher si la reine Thiti a le type sémite ou libyen revient à se demander à
quelle race appartenait la mère d’Horusou l’épouse d’Ammon. Mais un peuple
ne peut pas se complaire dans un idéal immuable. De siècle en siècle, même en
Orient, la vie se transforme, les opinions se modifient, le goût s’altère ou s’épure.
Les Égyptiens étaient de trop fins observateurs pour n’être pas tentés de rani-
mer les froides silhouettes de leurs poncifs par quelques traits empruntés di-
rectement à la nature. Il semble qu’au temps des derniers Ramessides la part
faite à ces emprunts ait été plus large qu’au siècle de Séti et de Ramsès le Grand.
Cette tendance n’est pas encore aussi sensible que dans les œuvres de la pé-
riode saïte; elle n’en est pas moins digne de remarque. On pourra voir dans
les planches qui accompagnent ce mémoire le soin avec lequel un peintre habile
s’est efforcé de rendre la conformation typique et l’élégance maniérée de la
grande dame de son temps. Certaines exagérations intentionnelles ne sont pas,
tant s’en faut, le fait d’un maladroit, mais bien au contraire d’un dessinateur
parfaitement rompu à la routine de son art. Il semble avoir appartenu à cette
école d’illustrateurs habiles qui esquissaient sur les parois des tombes ces jolies
scènes d’intérieur où de jeunes femmes à demi dévêtues, la chevelure dénouée,
les unes accroupies sur des tapis, les autres siégeant avec dignité sur des chaises
i. Il est possible également que le type réel du pharaon, surtout alors ce personnage était doué d’une beauté
physique peu commune comme Séti I er et son fils Sésostris, influait à son tour sur le type conventionnel attribué
aux divinités ; mais même dans ce cas, nous n’avons affaire qu’à un iconisme fortement mitigé.
v
TOMBEAU DE LA REINE THITI.
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d’apparat, se livrent aux soins de la toilette, ou aux douceurs d’un repas égayé
de chants et de fleurs.
Le peintre de la reine Thiti ne s’était pas contenté d’apporter le plus grand
soin dans le dessin de sa figure, de lui donner la structure réelle du corps fé-
minin, de ménager habilement les plis et la transparence du costume; il a re-
noncé également à étendre sur les parties dévoilées ce ton conventionnel d’ocre
jaune réservé depuis les temps les plus lointains, dans la peinture hiératique,
au rendu de la pâleur féminine. La nuance rosée dont il s’est servi se rapproche
beaucoup plus de la réalité. Mais ce n’est pas une tentative isolée, comme on
semblait le croire autrefois. Il y a dans la plupart des musées égyptiens et les
fellahs exploitent encore dans le voisinage de Cheikh-'Abd-el-Gournah, toute une
mine de sarcophages anthropoïdes ayant les mains et le visage peints non plus
en brun rouge ou en jaune, ni recouverts d’une feuille d’or, mais du plus beau
et du plus exact ton de chair, à bien peu prés le rose délicat de la carnation de
notre reine. Et il ne vient à personne la pensée d’en faire des sarcophages de
personnages libyens ou sémites. Rien ne prouve, en définitive, que Thiti n’était
pas égyptienne.
Ses nombreux titres nous la donnent comme 1^* , royale fille',
royale fille de son flanc (c’est-à-dire légitime) ;
, royale fille qu'il (le pha-
raon) aime ; 1 ^ lÉ2, très royale épouse ou principale épouse royale-, | , royale
mère \ ^ divine mère; ^ | , royale sœur; , princesse héritière ou maîtresse
d’un fief ; \\ \ e'm ’ ^ S ran ^ e de toutes les faveurs ou la principale de toutes les
favorites; Q ^ <=> , la palme d’amour et enfin reine d’Égypte.
L’inscription dédicatoire nous fait savoir que le tombeau a été exécuté par
ordre du roi, peut-être son père, ainsi qu’il résulte d’une légende gravée en
plusieurs endroits du tombeau et notamment à l’entrée de la chambre septen-
trionale : A < — 5 H î ® 1 **s => 3=1 Sjl exécuté comme hommage
de la part du roi à la royale fille de son flanc, celle qu’il aime, la souveraine de la double
terre, etc. Peut être aussi convient-il de ne prendre la qualité de sit ne khet
mereiv, que comme un simple titre. Mais cela est fort douteux à cause du terme
ne khetw, de sa chair, qui ne peut se rapporter qu’à une filiation réelle et non à
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GEORGES BÉNÉDITE.
la filiation honorifique simplement exprimée d’ordinaire par le titre de souten se
ou souien sit. Faute d’un second cartouche, nous en sommes réduit à des conjec-
tures. La plus admissible ou tout au moins celle à laquelle on va tout d’abord
consiste à supposer la syringe creusée et aménagée pendant la période qui a
précédé l’avénement de la princesse, alors qu’elle n’avait d’autre titre que
ceux de souten sit et de ropat et vivait sous l’autorité paternelle. Telle nous
la voyons représentée ornée de la tresse de princesse héritière sur les parois
de la chambre nord et de la chambre est. A la mort de son père, Thiti serait
devenue royale épouse de son frère, le prince héritier couronné souten et aurait
joint à ses titres celui de royale sœur. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse,
il est à remarquer que la reine porte conjointement les titres de ropat et de souten
himt oïrit, ce qui prouve qu’ils peuvent se concilier. Peut-être ropat implique-t-ii
aussi l’idée d’un douaire ou d’un fief héréditaire dont la reine aurait conservé
le principal malgré sa suzeraineté.
La décoration du tombeau, selon le principe qui a prévalu pour les hvpo"
gées royaux, est purement funéraire. Les scènes s’y rapportent toutes à la vie
de l’âme ; celles qui avaient trait à la vie du double de la personne royale étant
réservées à la salle des offrandes, distincte en tout temps pour les rois du ca-
veau et de ses dépendances.
Le décorateur avait recours en pareil cas à ces curieux formulaires illustrés de
vignettes qui constituaient, dès avant le début de la période historique, la biblio-
thèque des nécropoles. Avec le temps, le nombre de ces écrits s’était multiplié.
Mais tous ne semblent pas avoir joui de la même vogue; l’efficacité de leurs
propriétés magiques devait être surtout fondée sur leur ancienneté. C’est l’âge
vénérable de cei tains textes contenus dans le Livre des Morts qui a fait sa fortune.
Il n’a cessé de rester le répertoire dans lequel on puisait la plupart des éléments
qui devaient concourir à l’ornementation et plus encore à la consécration de
la tombe. On les combinait soit avec des emprunts plus ou moins considé-
rables aux livres de YAmtiout, de Y Embaumement, des Funérailles, etc. Ces deux
derniers ne tiennent aucune place dans le tombeau de Thiti. Quelle a été la
part du Livre de l’Amtiout, c’est ce qu’il est difficile de dire; car ce qui carac-
térise à ce point de vue cette petite tombe, c’est la liberté avec laquelle on en a
usé à l’égard des formulaires les plus usuels. Elle ne nous offre pas, en effet,
TOMBEAU DE LA REINE THITI.
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une série continue de scènes reproduisant toutou partie de l’ordre observé dans
le Livre des Morts: ses dimensions ne s’y prêtaient guère. Elle ne nous offre pas
davantage de petits extraits copiés mot à mot, comme on en trouve sur les
parois des sarcophages. Sa décoration est une interprétation très libre, conduite
au moyen de ces réminiscences qui sont bien plus le fait d’un artiste habitué
à traiter des scènes purement civiles comme celles de la vie du double qu’à
faire un choix éclairé dans le fatras des rituels.
Les deux parois du couloir nous représentent la reine se conciliant par ses
prières les quatre dieux Ptah, Hormachouti, Thot et Toumou. Nous sommes
au beau moment de ce que M. Maspero a appelé la contagion solaire. Les théolo-
giens de la XX e dynastie s’ingénient à rattacher par des liens subtils les dieux
les moins solaires de l’Égypte au système héliopolitain. C’est ainsi que Ptah
de Memphis se trouve accolé à Hormachouti pour former avec Thot(d’Hermo-
polis) et Toumou une sorte de carré dans lequel il faut chercher soit les points
cardinaux, soit la personnification des quatre principales escales de la naviga-
tion diurne et nocturne de Râ. En même temps Thitise rend propices les quatre
embaumeurs Amset, Tioumautew, Hapi et Khebsennouw et les deux pleureuses
Isis et Nephthys, dont la mission est d’écarter à grands cris pendant la céré-
monie de rcmbaumement' les mauvais esprits qui guettent le corps d’Osiris ou
du défunt. Ces diverses divinités accordent leur protection à la reine défunte
qui se place vis-à-vis d’eux sous cette sorte de dépendance exprimée par la locu-
tion ^ @ (j Q calquée sur les rapports des grands officiers et des ^ < ~ => j
vis-à-vis du pharaon.
Neith et Selqit forment une suite logique au groupe précédent. Neith, la
dame à la navette, œil du soleil qui na pas son pareil, est ce que nous appellerions
la patronne des tisserands? la déesse des tissus et, par extension, des bandelettes
funéraires. Selqit, la charmeuse de serpents, a pour attribut le scorpion.
Elle est à la fois la magicienne, la déesse des poissons et des philtres magiques
ainsi que la régente de la bibliothèque ^ 'ÿ 3 , titre également porté par Safkit.
Peut-être les théologiens avaient-ils établi une distinction entre la biblio-
1. Maspero, Leçons professées au Collège de France , I er sem. 1891.
388
GEORGES BÉNÉDITE.
théque patronnée par Selqit et la bibliothèque patronnée parSafkit. Il y avait en
effet deux sortes delivres : les livres du temple et les livres de la nécropole. Safkit
paraît plus spécialement attachée à la chambre des écrits du temple; c’est la déesse
des livres par excellence, au même titre que le dieu Thot. Selqit est surtout
une déesse funéraire, une des puissances conjuratrices auxquelles avait recours
le défunt contre les génies malfaisants du Tiout. Il était par conséquent logique
de la concevoir comme l’inspiratrice des livres funéraires qui n’étaient en défi-
nitive qu’une série de formulaires, une suite de recettes dont l’observance, en
certains cas, par les survivants et, dans la plupart, par le mort, assurait à ce der-
nier le triomphe contre les forces hostiles qui l’appréhendaient dans les roslaou
et lui réservait la félicité dans le Sokhit-Ialou. Les allusions aux pratiques de
l’embau mement, c’est-à-dire aux préliminaires du voyage que le m ort va accomplir,
prennent fin à la sortie du couloir.
Les représentations de la chambre centrale se rapportent franchement à la vie
d’outre-tombe. Ce sont d’abord deux fauves, rôdeurs de cimetières, le chacal blanc,
— blanc parce qu’il est dans les bandelettes -fj- ^ ^ — et le lion. Le chacal est ici
Anoupou, le guide des chemins mystérieux; le lion est un de ces deux lions que
les rédacteurs du Livre des Morts plaçaient à l’ouest et à l’est. Introduits dans
les mythes funéraires à l’époque lointaine où le lion peuplait les déserts de la
basse vallée du Nil, il est naturel de les trouver à côté du chacal dans les scènes
du monde infernal visiblement calquées sur le seul monde connu des premiers
Égyptiens, c’est-à-dire sur leur vallée. La courte apparition que font les fauves
à l’aurore et au crépuscule ne pouvait manquer de sembler mystérieuse aux
fellahs de ces temps très anciens, et tout ce qui prêtait au mystère pour ces
populations naïves a pris place dans le tissu des légendes qui avaient trait au
plus palpitant des mystères, à la mort. Pour les prêtres d’Héliopolis ou de
Thèbes, le lion ne pouvait se dérober lui aussi, à l’obligation d’être incorporé
sous toutes sortes de noms, dans la légion des divinités solaires; pour le fellah
d’avant les Pyramides, il n’était guère que le lion, une sorte d’habitant du désert,
d 'hirishaou, qu’Osiris, son bâton à la main, en route pour l’Ammah, rencontrait
menaçant à la lisière des sables.
Suivent des génies, gardiens des demeures du Tiout, presque tous armés
d’un ou de deux couteaux. L’un de ces gardiens, Nibniroui, paraît être pré-
TOMBEAU DE LA REINE THITI.
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posé à l’une des entrées : « Les portes te sont ouvertes, dit-il à la défunte, les mystères
te sont dévoilés. » Deux cynocéphales accroupis et un petit singe du genre
maki, armé d’un arc, sont appelés auwou « la chair » sans autre explication. Faut-
il voir en ces trois singes ces compagnons de Ra, mentionnés dans les hymnes,
qui l’acclament à son lever et lui font cortège ? c’est peu probable. Ne sont-ce
pas plutôt des génies de même nature que les cynocéphales en permanence
dans certaines stations infernales, comme ce bassin du feu mentionné au cha-
pitre ex xiv ? l’allusion serait plus claire. Mais pourquoi ce nom d’Auwou ?
c’est, nous le savons, celui qui sert à désigner dans le Livre de l’Amtiout le
soleil mort. S’il y a un lien entre ces singes mystiques et le soleil (ou la reine)
entré dans le royaume des Ténèbres, ce n’est pas en tous cas un rapport d’i-
dentité. En laissant par conséquent au cadavre divin ou royal le nom d’Auwou
qui lui revient, il nous reste à nous demander si les trois quadrumanes ne sont
pas tant soit peu apparentés aux singes sacrés d’Hermopolis et ne tiennent pas
ici la place du dieu Thot, que le Livre des Morts désigne en maints endroits
comme le protecteur des chairs du défunt*. Ce rapport qu’ils ont avec Thot
embaumeur ou protecteur du cadavre, ils le conserveraient avec Thot greffier
du tribunal osirien, et l’on pourrait dès lors leur attribuer les paroles gravées
au-dessus d’eux et qui nous reproduisent le verdict rendu à la suite de la
psychostasie . ce Tu as été déclarée (mot a mol : pesee ) juste par devant la neuvaine
des dieux. Tu nas point pêché (?). Pesé a été ton cœur sous toutes ses formes :
il n a point témoigné contre toi pète. » Il est une des parois de la salle principale
dont la décoration ne semble pas de prime abord très bien cadrer avec ce qui
précédé . cest la paroi orientale. La reine y présente d’un côté les deux sistres
aux génies Amset et Tioumautew et de l’autre les emblèmes de sa double
royauté aux génies Hapi et Kebhsennouw. Mais, détail que je ne crois pas né-
gligeable, la défunte ny est plus dite amakln ker... La protection spéciale des
quatre embaumeurs a pris fin. Thiti a triomphé de toutes les difficultés de la
route ; elle est sortie des rostaou , victorieuse comme le soleil dont le disque res-
plendit au-dessus de la porte entre les deux serpents ailés, et dont les deux barques
reparaissent avec leur cabine mystérieuse et leur tcndelet écarlate sur le Nil de
50
1 . Cf. notamment le chap. xlit.
3?o
GEORGES BÉNÉDITE.
la vallée céleste ç=^ . La coiffure divine de la reine accentue le sens de ces deux
scènes de triomphe et d’actions de grâces.
En somme, les huit tableaux qui ornent la salle du centre sont moins un ré-
sumé du rituel qu’une série d’allégories significatives comme les aime le
peintre décorateur ou mieux encore des allusions très libres mais tout aussi
expressives à l’ensemble des péripéties du voyage dans le Tiout : 1 accès au
rovaume d’Osiris, la conjuration des forces adverses, l’absolution après le juge-
ment, le retour triomphal à la lumière avec le soleil.
Les chambres secondaires ont été ornées dans un esprit un peu différent . les
scènes murales forment dans chacune d’elles une composition plus homogène.
La chambre méridionale qui contient le. puits n’offre que deux tableaux intacts.
L’un et l’autre nous représentent la reine ornée des insignes de la ropat, adorant
d’une part les quatre fils d’Horus à têtes humaines, parce qu’ils sont envisagés
comme dieux des quatre points cardinaux, et présentant d’autre part les sistres
aux mêmes génies figurés avec les têtes qui les distinguent en tant que génies
embaumeurs. Le tableau du fond qui devait être le plus caractéristique a disparu
sans laisser d’autres traces qu’un fragment d’Osiris.
La chambre opposée (sud) nous met d’abord en présence des Amitiout. 1 rois
sur le mur de droite et trois sur le mur de gauche. Ceux de droite, a tete de
crocodile, de héron et d’épervier, sont appelés la neuvaine de tous les dieux du
Tiout. Ils se vantent d’accorder à la défunte des offrandes dans le Sokhit-Hotepou.
Ceux de gauche, à tête de chacal, de serpent et de crocodile ou d hippopotame,
représentent tous les dieux des portes mystérieuses qui sont dans le haut et purifient la
défunte à sa sortie d’On (Héliopolis). Le premier tableau est complété par deux
de ces génies à tête de chacal et d’épervier qui ont pour fonction d’acclamer le
soleil à son lever et à son coucher. Ce sont les esprits de ^ © (Bouto) et de
(Eilythia) ou simplement du nord et du sud. Ils acclament la reine
en ces termes : « Honneur à toi , que ton nom soit purifié comme ceux des dieux
Amitiout ! » Le tableau qui décore le mur du fond nous offre la scène bien
connue d’un des premiers épisodes du voyage d’outre-tombe : 1 arrivée de la
défunte devant le sycomore qui se trouvait à l’entrée des Enfers. L arbre sacré
se dresse, en effet, au milieu du tableau, entre la défunte et la montagne de
l’Occident, d’où sort par la fameuse fente (Peka) la déesse de l’Amenti, sous sa
TOMBEAU DE LA REINE THITI.
591
forme de vache; ce qui ne l’empêche pas d’apparaître également sous sa forme
humaine dans les branches de l’arbre sacré : Nous t'accordons la libation du Ni 7,
dit la déesse ainsi dédoublée à Thiti, son adoratrice. On sait que l’âme, avant de
s’embarquer pour le périlleux voyage du Tiout était censée recevoir, de Nouit
ou d’Hathor, le viatique sacramentel sous la forme d’un pain accompagné de
purifications. Le pain ne se trouve ici ni dans les mains d’Hathor. ni dans celles
de Thiti ; mais il est permis de supposer que les offrandes amassées au pied du
sycomore et qui se composent, autant qu’on peut encore en juger, d’un abat
de bétail et d’un vase rempli de verdure, en tiennent lieu. Il en est de même de
la purification; bien que mentionnée dans la légende, elle ne figure pas dans le
tableau, contrairement à l’usage qui semble avoir prévalu pour l’arrangement
de cette scène. C’est bien, en effet, l’idée de purification qui domine ici, l’idée
qu’exprime le groupe et qui me paraît en même temps rattacher cette
scène aux deux précédentes. La chambre du sud est vraisemblablement la
chambre des eaux lustrales, des libations. Elle a trait surtout aux purifi-
cations qui rendaient le mort apte à remplir toutes les conditions de sa vie
nouvelle, de la vie divine. Les purifications étaient une des formalités que
devait accomplir un des membres de la corporation funéraire chargée de
représenter dans le cérémonial de l’enterrement les mystères de la mort
et de la résurrection d’Osiris. Ce personnage était YHor Anmautew. 11 est
figuré, à l’entrée des deux chambres latérales, vêtu de la peau de panthère
comme le khrîhib, offrant d’une main l’encens au moyen du et versant
l’eau lustrale contenue dans le vase | .
La chambre de l’est nous fait assister à la résurrection d’Orisis, auquel est
identifiée la défunte. Ses membres dispersés ont été réunis, ses attributs divins
lui ont été restitués; il a été replacé sur son trône. Il ne lui reste qu’à reprendre
le souffle qui lui sera rendu au moyen des passes magiques . Toutes les di-
vinités qui ont joué un rôle dans les opérations multiples de sa résurrection
s’empressent autour de lui : Neith, la dame aux bandelettes; Selqit, celle qui sait
les formules ; Isis et Nephthys, les deux suppliantes; Thot Khonthisirt, muni
de son rouleau « pour faire les passes magiques saou à son père Osiris, seigneur de
l'Amenli ».
Mais Osiris et la défunte, ainsi rendus à la vie, ne peuvent subsister que grâce
392
GEORGES BÉNÉDITE.
au tribut d’offrandes que leur doit la piété des survivants. Ces offrandes cons-
tituent presque à elles seules tout le culte des morts. Elles accompagnent, en
premier lieu, la cérémonie des funérailles : on ne dépose pas la momie dans
son caveau sans un approvisionnement dont la durée ou le renouvellement sont
assurés par la vertu des formules magiques gravées sur les stèles et les parois
de la tombe. De plus, aux grandes fêtes périodiques d’Ouaga, du Nouvel An et en
diverses circonstances prévues parles contrats passés entre la famille du défunt
et l’administration de la nécropole, de nouvelles offrandes sont périodiquement
déposées dans la chapelle funéraire. Une partie de ces offrandes s’adresse au
défunt, une autre revient aux dieux qui l’ont admis en leur compagnie et qu il
importe de lui concilier pat ces bons procédés. Les deux parois latérales nous
montrent ces dieux, d’abord les quatre fils d’Horus pour qui la défunte affecte
une dévotion toute particulière, sans doute en raison du rôle important qui
leur est dévolu dans le Tiout, puis huit divinités qui sont . Hou, Sa, Shou,
Tafnout, Sib, Nout, Nowretoumou et Horhaqenou. Ces huit divinités for-
meront un paoui avec la défunte, neuvaine singulièrement hétérogène si Ion
entreprend de ramener chacune de ces divinités à sa signification originelle,
mais d’une homogénéité qu’il nous est permis de saisir malgré notre impar-
faite connaissance de la théologie thébaine, si nous ne cherchons en elles
qu’une série de divinités choisies dans le cortege habituel des navigations
solaires.
Les deux premiers dieux et le dernier appartiennent en effet a 1 équipage de
la barque du soleil ; les deux couples Shou-Tafnout et Sib-Nout ont été asso-
ciés de bonne heure, comme divinités cosmiques, au mythe de la mort et de
renaissance du soleil, ou tout bonnement comme étant les ascendants directs
d’Osiris avec qui le soleil était identifié. Les dévots étrangers à la théologie ne
se perdaient pas en tant de raffinements; il faut croire aussi qu ils s épargnaient
les déductions subtiles qui ont présidé à la création de Nowretoumou, ce dieu
hybride, fils (on ne sait comment) de Sokhit, et dont nous serions aussi bien
en peine de fixer le caractère primitif, mais que nous savons être devenu à son
heure un dieu soleil, enrôlé comme magicien dans l’escorte qui faisait campagne
avec Râ contre les Sebaou ou les forces malfaisantes du Tiout.
Telles sont les scènes qui décorent les dix-sept parois encore intactes de la
TOMBEAU DELA REINE THITI .
393
N
tombe de Thiti, d’un monument que nous pouvons considérer comme le type
le plus complet de ces tombeaux de reines, conçus à peu près sur un même plan,
séparés tous uniformément de leurs chapelles, tous ornés élégamment mais à
peu de frais, au moyen de tableaux qui ne sont qu’une interprétation très libre
des principaux passages du Livre des Morts groupés arbitrairement mais non
sans esprit de suite.
i
DESCRIPTION DÉTAILLÉE 1
Le tombeau de Thiti se compose : i° d’un couloir d’environ 7 m ,5o de long,
resserré à ses deux extrémités par des saillies formant chambranle. L’extrémité
qui débouche à l’est dans la vallée se prolonge à ciel découvert au delà de la
porte; 2 ° d’une grande chambre communiquant en chacun de ses axes avec le
couloir et les trois chambres ci-aprés; 3 °de trois petites chambres d’égales dimen-
sions et disposées de telle sorte que le plan de l’hypogée présente la forme
d’une croix latine.
I. Couloir
La partie antérieure, taillée à ciel ouvert sur une longueur de près d’un mètre
et une largeur de 2 m ,4o, ne présente sur ses deux parois latérales aucune
inscription.
Porte a. — Vient ensuite une saillie soigneusement layée et encadrant la
porte du tombeau. Le linteau était sans doute orné d’un disque ailé : il n’en
reste aucune trace. On lit sur le montant de gauche
L’inscription du montant de droite a
disparu, à l’exception de
i. Voir le plan.
396
GEORGES BËNËDITE.
Le soffite est fruste. Les deux parois verticales de l’ébrasement sont ornées,
à la partie supérieure, d’une frise de J alternativement verts et bleus, alignés sur
un triple bandeau décoloré.
La paroi de gauche présente une légende verticale en cinq colonnes dont
on peut lire encore :
Au-dessous, le vautour de Nekheb aux trois quarts fruste. Un bandeau
horizontal le sépare du bouquet de la Haute-Égypte, qui orne tout le sou-
bassement du pied droit.
La paroi de droite est fruste; on ne lit plus que
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L’encadrement intérieur de l’entrée est anépigraphe.
Le couloir proprement dit est recouvert d’un plafond
parfaitement horizontal, étoilé de jaune sur fond blanc.
Le tracé symétrique des étoiles a été obtenu à l’aide d’un
réseau hexagonal très apparent. Géométriquement,
le diagramme réclamait un réseau pentagonal. Le
plan du sol s’incline très sensiblement à mesure qu’on
s’éloigne de l’entrée, si bien que les murs latéraux,
hauts seulement de 2 m ,i5 à l’extrémité extérieure, ont gagné o m ,55 à
l’extrémité opposée où la hauteur est de 2X70. Ces dimensions ne sont pas
exactement les dimensions primitives. Dans tout le tombeau, mais surtout
dans ce couloir, le sol s’est peu à peu exhaussé par l'amoncellement et le
piétinement des décombres. Les figures qui décorent le couloir ont particu-
lièrement souffert des visites que la tombe a reçues à toute époque. Les icono-
clastes chrétiens ont, selon leur habitude, mutilé les visages et notamment les
museaux des dieux zoocéphales; mais les dégâts les plus regrettables sont
encore les plus récents.
Mur Nord'. — Couronnement formé par l’alignement de jj alternativement
1. Planche I.